vendredi, juin 05, 2009

Le pouvoir autochtone au féminin : l'expérience de l'Ilnue Marjolaine Étienne, un exemple à suivre


Voilà un texte (ci-bas) qui devrait inspirer l'ensemble des Peuples autochtones du Québec, et plus particulièrement les communautés métisses qui sont engagées dans un travail de reconstruction sans précédent dans l'histoire de l'Autochtonie des trois Amériques. Je ne le dirai jamais assez : les communautés métisses du Québec doivent impérativement se structurer, sur le plan politique, en prenant appui sur la tradition autochtone, ou il n'y a aucune nécessité pour elles de voir le jour.

Que les chefs, qui ont tendance à vouloir éradiquer toutes contestations dans leur propre communauté, comprennent qu'ils ne seront jamais là tout le temps et qu'ils ont, eux-aussi, intérêt à faire en sorte que les pouvoirs politiques dont ils sont les gardiens n'appartiennent jamais à quelques individus qui mêlent leurs ambitions personnelles dans celles du groupe.

Dans ce sens, le travail exceptionnel du Conseil des Femmes de Mashteuiatsh est à prendre en considération. Cette belle réussite que je salue personnellement, devrait nous faire réfléchir sur le travail qu'il nous reste à faire pour nous mériter, en tant que Métis(ses) le respect de tous les autres qui ne partagent pas notre mémoire identitaire, nos combats et nos rêves.

Russel-A. Bouchard

Photo ci-haut : Plume d'aigle et chemin rouge, symboles autochtones de la force de l'union et de l'amour.
Photo ci-bas : Martine Moissette, Conseil des Femmes métisses de la Boréalie



Texte de Marie-Ève Maheu,
Publié dans Le Devoir des 7 et 8 mars 2009
Cahier G.
Une première historique pour Marjolaine Étienne, de Mashteuiatsh

Vice-chef du conseil des Montagnais du Lac-Saint-Jean, Marjolaine Étienne fait partie des 86 femmes élues des conseils de bande du Québec et du Labrador. Elle siège en leur nom depuis 2006 au Conseil des femmes de l'Association des Premières Nations (APN). Quoiqu'elle ne l'avoue que du bout des lèvres, Marjolaine Étienne est en train de changer le visage féminin du pouvoir autochtone, un pas à la fois.

Lorsqu'elle a été choisie pour siéger au Conseil des femmes de l'APN, Marjolaine Étienne a vite compris qu'elle ne pouvait représenter fidèlement l'ensemble des femmes du Québec et du Labrador. «Je n'avais personne derrière moi, se rappelle-t-elle. Il n'y avait aucune structure de soutien pour me permettre de diffuser l'information que je recevais ou d'échanger sur des questions d'ordre national avec d'autres femmes élues.»

Elle fait part de ce problème à la table des chefs de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL). Ceux-ci acceptent alors de créer un groupe de travail pour trouver des solutions et faire en sorte que les femmes soient mieux représentées.

«Comme femmes, on doit profiter de l'occasion qui nous est offerte d'être présentes de manière forte et articulée, défend Marjolaine Étienne. Par nos idées et nos points de vue, on peut avoir un impact sur l'avenir des Premières Nations.» Ce discours est celui d'une femme qui, il y a sept ans, n'aurait jamais cru faire de la politique.

Avant de faire le saut, elle a notamment travaillé comme professeure et animatrice de loisirs dans la communauté de Mashteuiatsh. «En 2002, mon père est venu me voir et m'a dit que c'était le temps pour moi d'aller en politique. Je lui ai répondu que je n'y connaissais rien. Il m'a dit que j'allais apprendre et c'est ce que j'ai fait. Peut-être a-t-il pensé que c'était le moment pour les femmes de prendre leur place?»

Peu à peu, elle a pris de l'assurance. «Je n'avais pas confiance en moi au départ, mais les gens ont voté pour moi. J'ai alors compris que j'avais quelque chose à apporter dans les sphères décisionnelles. J'ai une vision de femme et de grand-mère également. J'espère pouvoir améliorer les conditions de vie de ma collectivité.»

Pas à pas

L'automne dernier, le groupe de travail de sept femmes élues -- représenté par Marjolaine Étienne -- a organisé un grand rassemblement réunissant toutes les femmes élues du Québec et du Labrador. «Une première historique!», souligne Mme Étienne avec enthousiasme. «Ça nous a permis de nous apercevoir que nous ne sommes pas seules dans notre coin à travailler. Il y a d'autres femmes comme nous qui ont un intérêt pour la politique, et on est certainement plus forte ensemble!»

Cette rencontre de deux jours a permis de dégager les grandes préoccupations des femmes élues de l'APNQL. Parmi ces préoccupations, il y a notamment le sous-financement de l'éducation, le manque criant de logements dans les réserves, la perte de la culture autochtone et l'avenir des jeunes, qui ont un important poids démographique dans les collectivités.

Une autre grande préoccupation soulevée lors du rassemblement porte sur la modification de la Loi sur la protection de la jeunesse, note Mme Étienne. Désormais, un enfant de moins de deux ans qui est placé depuis un an en dehors de sa famille doit le rester jusqu'à sa majorité. «En tant que femmes élues, et femmes d'abord, ça signifie la perte de la culture de nos enfants, de leur identité, de leur langue ainsi que des liens intergénérationnels et familiaux. Selon nous, ça mérite d'être discuté et modifié. Il y a sûrement des actions qui peuvent être envisagées pour rapatrier nos enfants dans nos collectivités.»

Pour Mme Étienne, le rassemblement tenu l'automne dernier a aussi été l'occasion de promouvoir le réseautage entre femmes élues des diverses collectivités. «On peut partager notre expertise, mettre nos idées en commun et échanger sur nos bons et mauvais coups.»

D'ailleurs, le groupe de travail de femmes élues de l'APNQL désire offrir davantage de soutien aux femmes en politique. Elles veulent ainsi maintenir, voire augmenter, leur nombre. Pour y arriver, le groupe planche notamment sur une formation qui serait destinée à celles qui désirent développer leur leadership ou qui songent à se lancer en politique. Cette formation serait offerte en collaboration avec le Centre de développement femmes et gouvernance. «Il faut préparer la relève», dit Marjolaine Étienne.

Un monde d'hommes?

Mme Étienne refuse de percevoir le système politique autochtone comme un monde d'hommes. «Sur 250 représentants élus, on retrouve tout de même 86 femmes, ce qui est bon», fait-elle valoir. Il faut cependant noter que, sur les 86, une seule occupe le poste de chef.

«Il y a un cheminement qui se fait depuis 2001, avec la création d'un Conseil de femmes au plan national, qui nous permet de transmettre nos préoccupations, poursuit-elle. Il y a aussi une ouverture de la part des chefs de l'APNQL pour donner une place aux femmes élues.»

À preuve, le groupe de travail de sept femmes planche maintenant sur la création d'un conseil de femmes de l'APNQL, avec la bénédiction des chefs.

«Après avoir pris le pouls des femmes élues, ce conseil pourra se donner une orientation et cibler des priorités. C'est important d'unir nos efforts sur les dossiers qui nous concernent pour mieux les défendre», conclut Mme Étienne. Le conseil des femmes de l'APNQL devrait voir le jour à l'automne 2009.

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Collaboratrice du Devoir

mardi, juin 02, 2009

La danse au berdache, chorégraphie de Kent Monkman, au Musée des Beau-Arts de Montréal

Huile éponyme de George Catlin (1796-1872), Smithsonian, Washington.

BERDACHE, retenez bien ce terme que tous les peuples autochtones des trois Amériques (Indiens, Métis, Inuits) sont en train de remettre à l'ordre du jour, et non sans l'avoir rajeuni de la plus belle manière qui soit. Il a été inventé par les Français pour désigner ces êtres particuliers qui s'identifiaient au sexe opposé à leur sexe biologique, qui prenaient leurs habits et qui vivaient selon leurs codes sociaux. Chez les autochtones des trois Amériques (Indiens, Métis et Inuits), il fallait plutôt parler d'êtres aux deux esprits (2 spirited people). Et il n'y avait pas que des hommes puisque ce phénomène de civilisation se retrouvait également chez les femmes, mais en plus faible proportion.

Aujourd'hui, entrent indistinctement dans la catégorie du berdache et des êtres bispirituels, les transgenres, les transsexuel(les), les travesties, les intersexués sociaux, les hermaphrodites et les homosexuels des deux sexes.

Pour ceux qui s'intéressent à cette facette méconnue de la culture autochtone des trois Amériques et qui ont la chance de se trouver à Montréal cet été, il faut absolument faire le détour par le Musée des Beaux Arts de Montréal, 1380 rue Sherbrooke Ouest. Le spectacle se tient jusqu'au 4 octobre 2009

Russel-A. Bouchard




Chronique de :
JÉRÔME DELGADO
Le Devoir, 30-31 mai 2009

Entraînante, dansante même. Envoûtante, ensorcelante. Et intrigante, forte d'une dose mélangeant les sources et les références, les époques et les styles. Avec ses cinq écrans et ses ryth-mes endiablés, l'installation vidéo Danse au Berdache de Kent Monkman a de quoi semer l'émoi.

Du pow-wow dans l'air

C'est à un spectacle qu'on assiste, une chorégraphie, pour cinq danseurs, bien montée et fignolée par un fil musical, narratif, en crescendo. Ça commence avec le Sacre du printemps, de Stravinski, légèrement remixé et imprégné de chants et instruments amérindiens, ça se poursuit avec du techno et ça se termine avec la grandiloquence d'une musique très cinéma.

L'oeuvre qui prend racine au Musée des beaux-arts (MBA) pour les quatre prochains mois risque par contre de garder sa transe communicative bien secrète. Au sous-sol où elle se trouve, les visiteurs se font rares.

Entre rite et expression artistique, entre tradition et spectacle, entre hommage et critique, l'oeuvre met en scène le Berdache, un personnage ambivalent admiré chez les autochtones -- un travesti [sic *], selon notre vocabulaire courant. La danse qui le célèbre s'est surtout répandue dans les nations Sauk et Fox. La mise en scène, et en espace, de Monkman respire la fête. Il y a du pow-wow dans l'air.

Mais l'artiste natif de l'Ontario, lui-même d'origine crie, fait plus que rendre actuel et multimédia ce rituel ancestral. Il revisite le regard que les Blancs ont sur le Berdache et les cultures autochtones. Comme souvent chez lui, son commentaire repose sur ce que nous a légué un large pan de la peinture romantique en Amérique du Nord.

Sa Danse au Berdache tire son origine d'une huile éponyme de George Catlin (1796-1872), conservée au Smithsonian de Washington. Le peintre avait certainement été happé par la scène, mais elle lui avait aussi inspiré cette note: «L'une des coutumes les plus dégoûtantes et les plus inexplicables qu'il m'ait été donné de voir au pays des Indiens... et où il serait souhaitable qu'elle s'éteigne avant même qu'on puisse en attester encore davantage.» On regrette seulement que le MBA n'ait pas emprunté le tableau.

La confrontation Blancs-Indiens sur fond d'homophobie est au coeur de l'art critique et cynique de Kent Monkman. Un travail très éclaté (tableaux, films, performances...), basé sur l'histoire et faisant allusion à l'actualité, mais qui perd à l'occasion son tonus. Dans Salon Indien, une projection sur un tipi qui faisait partie de la Biennale de Montréal en 2007, l'homo-érotisation est trop appuyée.

Sacrifice

Danse au Berdache ne tombe pas dans ce piège. Même les écrans, en forme de peaux de buffle, sont subtils. Certes, le Berdache, qui se dandine sur l'écran du centre, est sexué, avec sa robe rouge transparente et ses talons hauts. Sauf qu'il se donne, et c'est très clair, en spectacle.

Le mélange des genres, des référen-ces, a du sens, plus que jamais. Que le guerrier danse aujourd'hui avec un parapluie ou sur du Stravinski illustre sa réalité: il est à la fois respectueux de ses traditions et imbibé de la culture de l'autre. En donnant un nouveau contexte, très actuel dans sa facture art contemporain, au Berdache, Monkman insinue que les enjeux propres à l'é-poque de Catlin n'ont pas nécessairement été enterrés.

Les rythmes et chorégraphies, le déhanchement du Berdache, le dispositif de l'ensemble des écrans et leur texture translucide, tout est fait pour nous entraîner dans la danse. On ne tapera peut-être pas du pied, il n'y aura pas d'excès, le musée imposant la retenue, mais quelque part, on est appelé à bouger. Or, on peut aussi rester impassible, spectateur passif dans le fond de la salle obscure. Et c'est là que réside, aussi simple soit-elle, la force de l'oeuvre. Ou on passe pour ce George Catlin, témoin curieux et épris d'ethnologie, mais qui refuse de passer le cap de sa première interprétation, ou on célèbre le personnage central, presque plus spirituel que charnel. Les Sauk et Fox admiraient ce travesti parce que c'était un signe du respect de la figure féminine. L'abandon de la masculinité devenait pour ainsi dire un sacrifice des plus honorés.

On a le choix: rester confiné à notre regard d'étranger ou se laisser séduire par la culture de l'Autre. Si les colonisés le font, pourquoi pas les colons?